Clinique des femmes de l'Outaouais

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In memoriam

Sur cette page, nous rendons hommage à titre posthume à celles et ceux qui ont marqué l’histoire des droits des femmes en santé au Québec.

Dre Jeanne Saint-Amour

Un nom à inscrire dans notre mémoire

Jeanne Saint-Amour est décédée le 9 août 2018. Pionnière dont le nom est certes moins connu que celui de Henry Morgentaler, elle était une médecin engagée et dévouée à la cause des droits des femmes. Ses actions en faveur de l’accès à l’avortement l’inscrivent dans la lutte des femmes du Québec pour l’obtention de ce droit fondamental.

Rappelons qu’en 1980, des avortements avaient déjà lieu dans certains hôpitaux, bien qu’avec de nombreuses embûches pour les femmes. Le ministre de la Santé de l’époque, Denis Lazure du Parti québécois, résistait à autoriser les CLSC à développer des cliniques, et ce, même si la RAMQ payait les médecins qui pratiquaient dans leurs cabinets. Au même moment, le Centre de santé des femmes de Montréal, un organisme communautaire autonome et féministe qui s’appelait alors le Centre de santé des femmes du quartier Plateau-Mont-Royal, cherchait sans succès à offrir le service. C’est cette année-là que Dre Saint-Amour, alors au CLSC du Marigot, proposera de créer une clinique conjointe :

« […] le Ministère de la Santé n’initiera pas lui-même la libéralisation de l’avortement, mais qu’il serait tout à fait satisfait de voir cette tâche accomplie par d’autres ‘ comme ‘ à son insu; à moyen terme, il en tire le crédit et à court terme, protège ses arrières. Ne demandons donc pas de permission, mettons-le devant le fait accompli… »1

En mars 1981, après des mois de travail avaient enfin lieu au Centre de santé des femmes de Montréal les premiers avortements par Dre Saint-Amour. Suivra peu après en décembre 1981 une clinique au Centre de santé des femmes de l’Outaouais, aussi un organisme communautaire, auquel elle restera fidèle tout au long de sa carrière.

En 1983, elle n’hésitera pas à aller témoigner en faveur du Dr Morgentaler lors de la requête à la Cour suprême de l’Ontario pour faire casser un jugement à son endroit.

Pendant 35 ans, des milliers de femmes lui ont été reconnaissantes du service rendu. Ses collègues médecins, infirmières et gestionnaires parlent d’elle comme d’une femme intègre à la personnalité très affirmée dont l’honnêteté professionnelle était admirable.

Elle fait partie de cette cohorte de femmes et d’hommes qui ont contribué à faire du Québec un lieu à l’avant-garde mondiale des droits reproductifs des femmes. Nous lui en sommes reconnaissantes et nous ne l’oublierons pas !

Anne Marie Messier, directrice générale
Centre de santé des femmes de Montréal

1. Jeanne Saint-Amour et Thérèse Venne, Projet avortement, CLSC du Marigot, avril 1980, p.12. Cité par Louise Desmarais, La Bataille de l’avortement : chronologie québécoise, 2016, Les Éditions du remue-ménage, p. 181.

Abby Lippman

L’Institut Simone-De Beauvoir de l’Université Concordia est en deuil, ainsi que de nombreuses et nombreux universitaires et membres de la communauté en général. La chercheuse associée Abby Lippman, féministe inlassable, experte et militante en santé des femmes, Juive antisioniste travaillant pour la paix, mentore pour plusieurs, est décédée chez elle le 26 décembre, à l’âge de 78 ans. Elle laisse derrière elle son fils Chris (Zeke) Hand, sa fille Jessica Hand, ses petits-enfants adorés Seonaid et Maxwell et son frère Marc Lippman. Au mois d’avril aura lieu une célébration commémorative à l’Université Concordia, dont les détails seront partagés dès que possible. Entretemps, celles et ceux qui le désirent peuvent faire un don à sa mémoire au Foyer autochtone pour femmes de Montréal, une organisation qu’elle appréciait et pour laquelle elle sollicitait des contributions quelques jours à peine avant son décès (http://www.nwsm.info/donate/).

Abby Lippman est née le 11 décembre 1939. Elle a reçu son baccalauréat en littérature de l’Université Cornell. Elle a ensuite travaillé à New York pendant plusieurs années comme écrivaine et chercheuse. Elle est arrivée à Montréal en 1973 pour poursuivre des recherches doctorales à l’Université McGill. Sa thèse, en génétique humaine, soulignait l’importance de considérer les opinions, les besoins, les perceptions et les volontés des bénéficiaires de conseils en génétique. Elle a continué à privilégier l’empowerment des personnes à l’endroit de la science pendant toute sa carrière.

Devenue professeure au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill, elle a écrit de nombreux articles scientifiques et est devenue une conférencière très prisée. Elle a développé les concepts de « génétisation » (la tendance à surévaluer la contribution des gènes comme déterminants de la santé humaine) et de « néomédicalisation » (la création de maladies par l’industrie pharmaceutique). Elle s’est intéressée au développement de nouvelles technologies médicales, y compris celles touchant la reproduction humaine. Elle a participé activement aux discussions citoyennes touchant ces
technologies, au Québec, au Canada et aux États-Unis.

Féministe convaincue, Lippman a poursuivi sa carrière en recherche tout en militant activement pour la santé des femmes et pour la justice sociale. Elle s’est impliquée, entre autres, au sein du Réseau canadien pour la santé des femmes (coprésidente), de la Women and Health Protection (cofondatrice), du Advisory Committee for the Council for Responsible Genetics (É.-U.), et de Head and Hands, un organisme communautaire pour les jeunes de Montréal (présidente du CA).

Après avoir pris sa retraite de l’Université McGill et obtenu son statut de professeure émérite, elle a continué à épauler les étudiantes et étudiants. Elle a été accueillie comme chercheuse associée à l’Institut Simone-De Beauvoir (ISdB) de l’Université Concordia et y a côtoyé des féministes engagées pour la justice sociale. L’ISdB lui a offert un espace pour qu’elle puisse poursuivre ses recherches, ses écrits, et ses activités militantes. Son intérêt pour la santé des femmes l’a rapidement amenée à collaborer avec Geneviève Rail, professeure chercheuse en études féministes et culturelles de la santé. En tant que chercheuse associée, Abby s’est affairée à lire, à faire des recherches, à rédiger des articles scientifiques, des recensions de livre et des textes d’opinion.

Elle marchait partout, jour et soir, pour assister à d’innombrables réunions, séminaires et évènements militants. La professeure Kimberley Manning, directrice de l’ISdB livre un témoignage éloquent : « Abby était une des premières à m’accueillir à l’Institut. Avant même mon arrivée comme directrice, elle m’a dressé un portrait des défis et plaisirs qui m’attendaient. Chaleureuse, généreuse, et férocement engagée dans les multiples facettes de l’action féministe, la présence remarquable d’Abby marquait le quotidien de l’ISdB ». Lippman était impliquée dans différents évènements organisés par les chercheuses associées de l’ISdB. Elle était une mentore auprès de plusieurs jeunes femmes désireuses de remettre en question le modèle biomédical et patriarcal des soins de santé. Elle a collaboré avec Geneviève Rail, chercheuse principale d’une recherche sur les discours entourant le virus du papillome humain (VPH) au Canada et ses conséquences sur les jeunes filles recherche soutenue financièrement par les Instituts de recherche en santé du Canada). Des entrevues effectuées à travers le pays avec des filles et leurs parents ont révélé un manque généralisé d’information sur le vaccin et, plus rarement, des effets secondaires importants à la suite de la vaccination.

En 2015, Lippman et Rail ont parlé de cette recherche dans un texte d’opinion publié par le journal Le Devoir, demandant un moratoire sur la vaccination VPH au Québec, en attendant une investigation « indépendante » (de l’industrie pharmaceutique). Cet article a déclenché une polémique enflammée typique de celles suscitées par Lippman, Rail et d’autres chercheuses féministes osant mettre en doute les affirmations des communautés médicale et pharmaceutique. Selon elles, « en santé des femmes, l’histoire est jonchée d’avis médicaux abandonnés après avoir été remis en question par des femmes avisées ». Les résultats de l’étude seront publiés cette année. Avec le départ de Lippman, Rail dit pleurer « une chercheuse rigoureuse et mon amie, ma coloc de bureau et mon modèle ». Elle ajoute « Abby était une alliée pour tant de personnes dans tant d’organisations progressistes. Elle était une pionnière et une géante dans le domaine de la santé des femmes. C’est une perte énorme pour notre Institut et pour la santé des femmes en général ».

Tout en préservant son accent prononcé qui témoignait de ses origines brooklynoises, Lippman a fréquenté les communautés francophones et anglophones et a contribué à des organisations telles que la Fédération
québécoise pour le planning des naissances, la Fédération des femmes du Québec, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, À bâbord!, Chez Doris, le Centre communautaire des femmes sud-asiatiques, l’organisme Action cancer du sein Québec, le Center for Gender Advocacy de l’Université Concordia, le réseau Biojest, et plusieurs autres. Elle s’est aussi identifiée à plusieurs causes sociales. Militante socialiste de longue date, elle a accordé beaucoup de temps et d’énergie aux droits de la personne des Palestiniens. « Elle était derrière toutes les causes progressistes » a dit Rail, en mentionnant l’implication de Lippman dans le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) dirigé contre le gouvernement d’Israël. Militante des mouvements Independent Jewish Voices (IJV) et Palestiniens et Juifs unis (PAJU), elle était également membre fondatrice du College and University Workers United (CUWU) qui a appuyé le mouvement BDS. Celles et ceux qui ont connu Lippman témoignent d’une constante dans sa vie : être trop occupée ! Par exemple, quelques jours avant son décès, elle a dû manquer une réunion d’IJV parce qu’elle voulait passer du temps avec son petit-fils Max. Elle a toutefois trouvé le temps d’offrir son appui à la mosquée ayant subi les attaques d’islamophobes (à la suite du reportage scandaleusement erroné de TVA).

La passion et l’énergie d’Abby Lippman vont nous manquer !

Dr Henry Morgentaler

Nous tenons à remercier officiellement Henry Morgentaler d’avoir défendu le droit des femmes à obtenir un avortement sécuritaire et sur demande. Combien de vies de femmes ont ainsi pu être sauvées!

Nous vous invitons à lire l’éditorial du journal Le Devoir qui lui rend un bel hommage :

La lutte pour le droit à l’avortement au Canada est indissociable de l’engagement personnel d’Henry Morgentaler, personnalité hors du commun qui, sans broncher, fit face à la justice, aux gouvernements, à la haine, mais aussi à la détresse de milliers de femmes, qu’il n’a jamais abandonnées. Qu’hommage lui soit rendu.

Pour parler d’Henry Morgentaler, il faut commencer par les femmes. Ou plutôt un chiffre : 45 000. « En 1966, le Bureau fédéral de la statistique comptabilisait plus de 45 000 admissions dues aux complications survenues à la suite d’un avortement. Il s’agit alors de la première cause d’hospitalisation des femmes au pays », écrivait Le Devoir dans son dossier soulignant en janvier dernier le 25e anniversaire de la décriminalisation de l’avortement. Ce à quoi il faut ajouter les mortes, non recensées. On n’a plus idée de ce que cela signifiait.

C’est encore par les femmes qu’il faut passer pour comprendre ce que fut d’abord le Dr Morgentaler : un soutien avant d’être un symbole. Au fil du temps, les témoignages de son humanité sont légion de la part de celles qui sont passées par ses services pour se faire avorter. Du lot, retenons celui de la comédienne Louise Latraverse, livré au magazine Châtelaine, qui a aussi consacré un dossier au sujet ce printemps. À la fin des années 60, alors que l’avortement était toujours illégal, son médecin l’avait dirigée vers la maison d’Henry Morgentaler.

« La journée de l’intervention,dit-elle,j’étais nerveuse. Tout ce qu’on racontait, à l’époque, sur l’avortement était terrible. […] Mais je me rappelle que le regard du docteur Morgentaler m’avait immédiatement calmée. Il y avait une bonté indescriptible dans les yeux de cet homme-là. On sentait qu’il luttait pour une cause. […] Il voulait vraiment que les femmes soient libres de faire ce qu’elles voulaient de leur vie et de leur corps. » Le vrai combat, il commençait là.

Et puis vinrent les batailles publiques. Tous les reportages, depuis l’annonce du décès mercredi, en racontent les tenants et aboutissants. Ce qui frappe, ce que l’on ne mesure plus aujourd’hui, même si on en a vu des soubresauts ces dernières heures, ces dernières années (en particulier lorsqu’il fut nommé membre de l’Ordre du Canada en 2008), c’est la charge viscérale qui lui fut opposée.

Un détail parmi mille pour l’illustrer : c’est pour la cause Morgentaler que la Cour suprême eut pour la première fois recours, dans les années 80, au détecteur de métal ! Quant aux avocats qui furent mêlés au débat juridique de l’époque, au Québec d’abord, en Ontario ensuite, ils évoquent une tension à couper au couteau. Littéralement.

Comprend-on alors, dans un tel climat, ce qu’être jury au procès du diabolisé Henry Morgentaler a pu vouloir dire ? L’une des jurés du procès de 1984 à Toronto a raconté son expérience au Globe and Mail il y a quelques années. Impossible pour les jurés d’ignorer les attentes énormes à leur égard, particulièrement pour les six catholiques du groupe. Mais la preuve l’a emporté sur la pression du public et des juges, dont l’activisme était sans précédent : interdire l’avortement était source de profondes injustices, la seule logique était d’acquitter Morgentaler, ce qui fut fait à l’unanimité par le jury ontarien, comme l’avaient aussi fait auparavant des jurys québécois. Le réel triomphait.

C’est tout ça, Henry Morgentaler. Une grande cause, une époque en mouvement, un homme à la fois seul et solidaire, qu’on accusa de causer la mort alors qu’il sauvait des milliers de femmes. Cet homme, dont la vie même fut un roman, savait qu’il marquerait l’Histoire. Nous sommes heureux qu’il l’ait fait.

Josée Boileau
Le Devoir